Foire aux questions... et aux idées reçues
Pourquoi le bio ?
▼
Le choix de passer à une restauration collective 100 % bio au 1er janvier 2012 est le résultat d’une vision forgée par des échanges avec des scientifiques qui nous ont conduits à mettre en place un principe de précaution sur la question de l’alimentation de la ville de Mouans-Sartoux. Pour la santé publique, c’est une responsabilité essentielle. Comme le souligne Denis Lairon, directeur de recherche émérite à l’Inserm associé au comité de pilotage de la MEAD, « il faut vraiment une prise de conscience majeure si on veut sortir de l’impasse d’un système agricole dominant qui affecte fortement la société sur le plan de la santé et de l’environnement ». Sur le plan environnemental justement, on sait que les secteurs de l’énergie, de l’industrie, des transports et du bâtiment sont les principales sources de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. Mais l’alimentation n’est pas en reste puisque l’agriculture représente 14 % des GES à l’échelle mondiale, qui émet beaucoup de méthane et de protoxyde d’azote. Or si on combine l’agriculture aux activités de transformation agroalimentaire (industrie), de distribution (transports) et de stockage (silos, coopératives, magasins et grandes surfaces alimentaires), la facture climatique devient sévère et grimpe à près de 25 % des GES. L’alimentation apparaît donc comme un quart de la solution au dérèglement climatique. Le choix du bio, s’il ne règle pas tout, a au moins le mérite de faire baisser cette addition et d’entretenir au lieu de les dégrader la biodiversité ainsi que la vie des sols largement surexploités.
Mais manger bio ne fait pas que du bien au climat. L’alimentation bio permet également de reprendre en main le développement des territoires, en relocalisant l’agriculture avec des pratiques de fertilisation organique et le renoncement à l’emploi de pesticides de synthèse nocifs pour l’environnement. Économiquement, elle consolide le revenu des agriculteurs (pas dans certaines filières longues comme les grandes cultures ou le secteur laitier malheureusement), stimule l’activité de fermes paysannes de proximité et confère aux collectivités qui s’engagent le pouvoir de participer à l’entretien de leurs paysages physiques. Enfin, sur le plan social et humain, le fait de choisir le bio génère de nouveaux dialogues et appelle à une gouvernance partagée entre de nombreux acteurs (producteurs, transformateurs, distributeurs, élus des collectivités, techniciens, citoyens, etc.) qui enrichit à sa manière ce qui fait l’humus des relations sociales.
Manger du bio qui vient éventuellement de loin ou manger local ?
▼
Le débat entre bio et local n’est pas nouveau et continue de susciter de nombreux clivages dans l’opinion ou au sein des collectivités. Certes le bio apporte une garantie quant aux modes de cultures et l’absence de pesticides, mais le recours au local est souvent justifié par le soutien aux producteurs qui n’ont pas osé franchir le pas du label bio. En vérité, il revient à chacun d’apporter sa réponse. Voici en l’occurrence celle de Gilles Pérole, adjoint au maire chargé de l’enfance, de l’éducation et de la restauration scolaire et fondateur de la MEAD de Mouans-Sartoux : « Je préfère du bio qui fait 300 km, voire qui vient de l’étranger, que du local intensif produit à côté de la maison. Dans les 25 % d’impact de l’agriculture sur les gaz à effet de serre, la part du transport n’est que de 8 % environ. Le local n’est vital que si c’est un nouveau mode de production agricole. N’oublions jamais quep roduire de manière chimique au plus près de chez soi impacte négativement la qualité de l’eau, la vie des sols, la qualité de l’air et la biodiversité. »
Combien coûte un repas 100% bio ?
▼
Manger bio coûte bien trop cher, surtout à l’heure de la baisse du pouvoir d’achat ! Voilà une idée reçue qui supporte mal l’objectivation. C’est pourtant une interprétation exagérée. Il est vrai qu’à volume égal, un kilo de légumes bio coûte généralement plus cher qu’un kilo de légumes conventionnels. Mais il faut porter un regard politique sur ce que nous coûtent vraiment les aliments non bio. S’ils paraissent moins onéreux, ils génèrent des surcoûts induits très importants pour les collectivités et l’État : en termes de traitement de l’eau (le traitement de la pollution des nappes phréatiques et la potabilisation engagent plusieurs milliards d’euros chaque année), mais aussi en termes d’érosion de la biodiversité et de dégradation des sols et d’augmentation des maladies dites de civilisation (diabète de type 2, obésité, maladies cardio-vasculaires, etc.).
À l’échelle de Mouans-Sartoux, le passage au 100 % bio dans les assiettes de la restauration collective s’est fait sans surcoût. À chacun de trouver la bonne méthode mais des leviers largement éprouvés existent : réduction du gaspillage alimentaire (toujours payé deux fois, une fois à l’achat des denrées et une fois sur la facture du traitement des déchets), mise en place de repas végétariens (un repas en protéines végétales coûte deux fois moins cher qu’un repas avec de la viande ou du poisson), allotissement des marchés publics (sourcing plus fin, respect de la saisonnalité, division des lots pour ne pas tout acheter à un seul fournisseur, etc.), cuisine de marché (on définit les menus dans un délai court et non trois mois à l’avance), emploi de produits bruts et refus des aliments ultra-transformés, service à la portion (petite et grande faim), recettes culinaires recomposées, etc. À Mouans-sartoux, en diminuant de 80% le gaspillage alimentaire passé de 147 g à 30 g par assiette, la ville a économisé 20% sur son budget alimentaire. En proposant également 50% de menus végétariens faits maison, elle a réduit de 25% supplémentaires sa facture. Ces deux leviers permettent au final de dégager une marge importante (45%) du budget alimentation, de quoi financer largement le juste et légitime surcoût de l’alimentation bio.
Pour répondre encore plus précisément, sait-on seulement que le prix des matières alimentaires n’entre que pour 20 à 25% du montant de la facture des cantines ? C’est alors du côté de l’organisation (formation des agents, évitement de doublons dans les services, etc.), de la logistique (outil de restauration, transports, sources d’énergie utilisées, etc.) qu’il faut chercher des idées.
Comment mettre en place une régie agricole ?
▼
Quand une collectivité décide de produire des aliments, il lui faut d’abord disposer de foncier agricole. Et ça tombe plutôt bien, puisqu’elle a la main sur le plan local d’urbanisme (PLU), connaît généralement bien son parcellaire et est membre actif du SCOT (Schéma de cohérence territoriale). Elle peut également passer des conventions avec la Safer, l’acteur du foncier agricole habilité à préempter des parcelles lors de mutations. Sur un plan organisationnel, elle peut agir en régie directe comme à Mouans-Sartoux ou, selon la dynamique à l’œuvre sur le territoire, en délégation auprès d’une association, d’un chantier d’insertion, d’un Jardin de Cocagne, etc. À ce jour, il existe en France une centaine de régies agricoles dont la ville Mouans-Sartoux, créatrice de la toute première, fédère le réseau à travers les Rencontres des fermes municipales, initiées en 2024. Milieu rural, périurbain ou urbain, vous trouverez sur ce site tous les exemples en détail.
Cantines gérées en direct ou par des sociétés privées ?
▼
Le modèle de la régie municipale reste majoritaire (de peu) dans les cantines en France. Cela dit, manger bio peut très bien passer par l’émission d’un appel d’offres auprès de sociétés de restauration spécialisées qui peuvent aujourd’hui répondre à la demande (certes, parfois avec difficulté). Mais dans un tel cas de figure, seules les cantines sont bio et rien n’est dit du développement économique, social et humain du territoire. Un peu à l’image du service d’eau potable, la régie publique nous apparaît être le levier plus pertinent quand une collectivité locale décide porter un regard politique sur l’alimentation, l’agriculture, les acteurs, les citoyens et les paysages de son territoire. C’est aussi elle qui initie et entretient une dynamique qui met en mouvement les habitants, généralement très satisfaits de voir leur commune s’engager franchement. A contrario, passer par un opérateur privé peut empêcher d’avoir une vision claire des valeurs et des pratiques. Enfin, plus on monte le niveau d’exigence et plus ça coûte.
Une cuisine par établissement scolaire ou une cuisine centrale ?
▼
À partir des années 1980, l’air du temps est à la rationalisation budgétaire et à la création de grands équipements structurants, alors que le développement urbain attire et concentre de plus en plus les populations. Les collectivités locales se prennent au jeu de construire d’importantes unités de production culinaire pour, pensent-elles alors, répondre à plusieurs nécessités : réduction des coûts, économies d’échelle, production standardisée qui facilite la gestion des stocks et la planification des repas, contrôle de la qualité et de la sécurité alimentaire, optimisation des ressources (utilisation des équipements, du personnel et des locaux). Ce faisant, elles commencent à tracer un sillon industriel dans les politiques alimentaires où dominent les gros fournisseurs et où se diffuse la pratique d’une cuisine dite d’assemblage qui mécanise largement la préparation des repas. On est alors loin des préoccupations environnementales, de la santé par l’assiette et de l’éducation des convives à de bonnes pratiques. Depuis le début des années 2000, de nombreux territoires ont commencé à interroger ce modèle pour imaginer de nouvelles solutions. Certaines régions ont choisi de relocaliser des cuisines dans chaque lycée, des départements dans chaque collège et des communes dans chaque école. Elles en retirent plusieurs bénéfices : fraicheur et qualité gustative, soutien à l’économie locale et aux circuits courts, dialogue augmenté avec les acteurs du territoire, création de liens sociaux, motivation et formation des équipes en interne. Économiquement, les cuisines locales pourraient apparaître plus coûteuses à gérer. Il existe pourtant peu d’études sérieuses qui confirment cette présomption. En revanche il est avéré que la reprise en main politique du dossier alimentaire transforme les approches et aide à conquérir de nouveaux objectifs à l’heure des grands désordres du monde.